Invité Afrique - Lumumba: «C'est la volonté de la famille qui compte avant tout» selon le procureur fédéral belge
En RDC, il y a 60 ans aujourd’hui, Patrice Lumumba était assassiné dans le sud du pays, non loin d’Elisabethville, aujourd’hui Lubumbashi. Les autorités katangaises, congolaises mais aussi la Belgique et les États-Unis, ont joué à des degrés divers un rôle dans cette exécution. En 2011, une enquête est ouverte par la justice belge pour crime de guerre. Dix personnes sont mises en cause par la famille Lumumba. Aujourd’hui, deux de ces personnes sont encore en vie. Frédéric Van Leeuw, le procureur fédéral belge, répond aux questions de Pierre Firtion.
RFI: Où en est l’enquête ouverte par la justice belge sur l’assassinat, en 1961, de Patrice Lumumba, une des principales figures de l'indépendance du Congo belge ?
Frédéric Van Leeuw : Cette enquête est toujours ouverte. C’est une enquête évidemment très particulière puisqu’il s’agit d’enquêter sur des faits qui ont été commis, en dehors du territoire belge, donc au Katanga, à l’époque, qui est l’actuelle province du Shaba.
Ce sont aussi des faits qui ont été commis il y a très longtemps. Les témoins ontévidemment, la plupart du temps, disparu ou sont décédés. Il s’agit donc essentiellement d’examiner des documents, d’attendre que les archives soient accessibles au public, comme les archives de la CIA par exemple et que l’on puisse, à ce moment-là, éplucher les archives pour voir ce que l’on peut éventuellement établir comme responsabilité dans le cadre de cette enquête.
Au moment où cette enquête a été ouverte, une dizaine de personnes étaient mises en cause. Est-ce que depuis, ces personnes ont été auditionnées par la justice belge ?
Ces personnes sont mises en cause par la partie civile et donc l’enquête a été mise à l’instruction. C’est, par conséquent, un juge d’instruction qui instruit à charge et à décharge. Sur le contenu de l’enquête évidemment, je ne vais pas m’exprimer mais je pense que ce qui est aussi très important, c’est que, directement, les autorités belges, l’autorité judiciaire et le parquet fédéral ont posé la question de savoir si on pouvait encore enquêter sur ces faits.
Si c’est un « simple meurtre ou assassinat », les faits sont prescrits depuis longtemps. Par contre, et ce qui est, je pense, la grande avancée dans ce dossier qui est quand même beaucoup plus que symbolique, c’est le fait que la Cour d’appel de Bruxelles, après des débats, ait reconnu qu’il s’agissait en fait de crimes de guerre qui étaient imprescriptibles.
Symboliquement, c’est déjà très important d’avoir reconnu que l’assassinat de Patrice Lumumba et de ses deux collègues était un crime de guerre et que donc on pouvait encore toujours enquêter là-dessus. Sinon, on aurait dû clôturer le dossier dès le moment même où la plainte était posée.
Mais néanmoins, on voit bien que des années après, cette enquête ne donne pas l’impression de progresser énormément. Il n’y a plus que deux personnes en vie sur les personnes qui étaient mises en cause au départ par la famille. Certains soupçonnent la justice belge et les autorités belges d’attendre que ces deux personnes-là décèdent pour clôturer le dossier. Qu’est-ce que vous leur répondez ?
Je leur réponds que c’est une enquête qui avance, que c’est une enquête difficile. Comme je l’ai dit, ce sont des faits qui se sont passés il y a 60 ans, où il n’y a plus beaucoup de témoins non plus. C’est aussi une enquête qui dépend de l’accessibilité de toute une série d’archives dont par exemple les archives de la commission parlementaire avec des auditions qui ont été passées à huis clos et auxquelles le juge d’instruction a demandé l’accès ou encore des archives qui se trouvent à l’ONU auxquelles le juge d’instruction a également demandé l’accès.
Il faut par donc trouver des éléments, avant d’engager la responsabilité d’une personne. C’est un dossier compliqué et c’est le gros problème aussi de beaucoup de dossiers que l’on appelle de droit international humanitaire pour lesquels, souvent, on ne peut mener l’enquête que des années après, lorsqu’il y a aussi une certaine évolution dans les mentalités et quand les documents sont accessibles.
Ici, je parlais des archives de la CIA mais il y a d’autres archives aussi. Les archives de la CIA ne sont accessibles que depuis 2007 et c’est là-dedans que l’on a eu la confirmation qu’il y avait effectivement un projet aussi du directeur de la CIA, Allen Dulles, à l’époque, d’assassiner Patrice Lumumba parce qu’il s’était tourné vers l’URSS au moment où le Katanga avait voulu faire sécession avec l’appui de la Belgique.
Peut-on imaginer que demain, des personnes comme Etienne Davignon [à l’époque membre de la direction Afrique du ministère belge des Affaires étrangères] ou Jacques Brassinne, [alors conseiller politique de Moise Tshombé], soient auditionnées par la justice belge ?
C’est vous qui les citez. Néanmoins, si ce sont des personnes impliquées, ce sera à la juge de décider, à un certain moment, qui est auditionné. Il y a déjà eu des auditions dans ce dossier. C’est la juge qui a l’enquête en main et qui doit avancer.
Concernant l’histoire de la dent [saisie dans la famille d’un policier belge ayant contribué à faire disparaître le corps], il va y avoir une restitution symbolique. Le président Félix Tshisekedi a annoncé que cette restitution aurait lieu sans doute au moment de la fête de l’indépendance, en juin 2021. Est-ce qu’une date a été arrêtée ? Comment cela va se passer concrètement ? Vous en discutez avec qui aujourd’hui ? Avec les autorités belges, avec la famille ou bien avec les deux ?
La famille est partie au dossier. Moi, je suis un magistrat ou encore le procureur dans le dossier. La dent a été libérée par la juge d’instruction et c’est donc au procureur, à exécuter cette décision.
La famille, évidemment, souhaite - et c’est d’abord avant tout à elle de décider - donner un caractère symbolique à cette restitution, en accord avec les autorités congolaises. Il y a là maintenant des discussions qui se passent au niveau des Affaires étrangères, étant entendu que c’est le souhait de la famille.
Je suis donc effectivement en discussion aussi avec les Affaires étrangères pour savoir ce qui va être décidé entre les autorités congolaises et les autorités belges, par rapport à cette restitution.
Mais c’est avant tout la volonté de la famille qui compte, pour nous, parce que ce sont les seules parties au dossier. L’Etat congolais, en effet, n’est pas partie au dossier de l’assassinat de monsieur Patrice Lumumba et c’est bien à la famille que la dent sera restituée.
C’est à la famille que nous laissons décider, plus ou moins, quelles sont leurs demandes. Ils ont adressé les demandes. La plupart de ces demandes ne sont pas du ressort du procureur mais bien des Affaires étrangères et il y a donc des discussions qui se passent au niveau des Affaires étrangères.